31/03/2016

LA GRANDE EAU de Zivko Cingo




Saluons avant tout l'initiative de l'intrépide éditeur Le Nouvel Attila qui non seulement s'évertue à un travail de réédition pointu (en l'occurrence d'un texte difficile, remis sur nos tables dans un écrin des plus soigné*) mais vient aussi de réanimer un Prix littéraire qui ne primait plus rien depuis 1966, le Prix Nocturne, qui se chargeait de mettre en avant « un ouvrage oublié, d'inspiration insolite ou fantastique ».

La grande eau de Zivko Cingo, paru au début des années 70, satisfait entièrement à ces quelques exigences, et c'est pourquoi le Prix lui est revenu en 2014. Cingo était un écrivain qui se consacrait surtout à la scène et à la littérature enfantine. On trouve un écho à ce travail dans la mise en place du décor et des personnages de La grande eau ; des espaces vides peuplés d'ombres fantomatiques à la recherche d'une destination indéfinie, d'eux-mêmes sans doute.


Nous sommes dans l'immédiate après-guerre et comme dans le terrible Arrachez les bourgeons, tirez
sur les enfants de Kenzaburo Oe, nous suivons le périple d'une  horde d'enfants, des orphelins de guerre peut-être, des enfants d'exilés sans doute, fils et filles de parias broyés par la machine, encadrés et surveillés de près par des adultes à la fois inquisiteurs et faussement paternalistes. Faut-il le dire, mais Cingo était Macédonien (en ex-Yougoslavie), et il n'y a pas à chercher bien loin pour comprendre de quoi cette fable noircie au fusain semble être l'écho. 


La prose de Cingo travaille le texte et le corps de ses personnages martyrs avec une infinie patience. Son écriture est faite de ressassements et de tristes refrains entêtants (« ...que je sois maudit... »), éclairée ici et là de brefs traits de lumière. Joies enfantines d'une montagne enneigée aperçue au loin, ébahissement furtif devant une parole d'enfant qui fait soudain taire, pour un instant, la litanie infernale des ordres hurlés par les adultes ou de leurs discours sans fond. Le regard rivé sur un mur sans limite, les enfants écoutent arriver le fracas de la Grande Eau, là, juste au fond d'eux, les consolant de leur sort et de mille injustices.

L'écriture est superbe, bâtie sur des riens, impressionniste presque, et il n'est nul besoin de vouloir arracher à tout prix un sens immédiat à ces phrases qui fuient la signification directe comme la métaphore. La grande eau est plus une œuvre de poète que de romancier, une eau-forte plus qu'un témoignage. Un livre d'inspiration « insolite ou fantastique », tout juste...


(* ce livre se présente sous une jaquette en papier calque imprimé, avec  des illustrations très belles de Giovanna Ranaldi, c'est à souligner...)

 Signé: RongeMaille

2 commentaires:

  1. Excellente chronique comme d habitude....

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  2. Merci pour cette belle critique. Contente de savoir que vous avez apprécié la langue de Zivko Cingo. Maria Béjanovska, traductrice de La grande eau.

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